Les élus de l'Assemblée de Corse privés du droit de parler leur langue

Rédigé le 10/03/2023
Manon Perelli

Suite à un recours contentieux introduit il y a quelques mois par l’ex-préfet de Corse, Pascal Lelarge, par un jugement de ce jeudi, le Tribunal Administratif de Bastia a annulé les délibérations portant modification des règlements intérieurs de l’Assemblée de Corse et du Conseil Exécutif. En cause, la formulation posant que le corse comme le français sont langues de débat, jugée inconstitutionnelle.

C’est une décision qui « revient à priver les élus de la Corse du droit de parler leur langue à l’occasion des débats au sein de l’Assemblée de Corse, du Conseil exécutif de Corse, et des actes de la vie publique », selon les mots du communiqué commun transmis par Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis ce vendredi. Par un jugement daté d’hier, le Tribunal Administratif de Bastia a annulé la délibération de l’Assemblée de Corse du 16 décembre 2021 portant modification de son règlement intérieur, ainsi que l’arrêté du président du Conseil Exécutif du 8 février 2022, venant adouber un texte similaire. 
 
À l’origine de cette décision, un recours contentieux introduit par l’ex-préfet de Corse, Pascal Lelarge. Mi-février 2022, à l'aube de son départ après 19 mois de conflit ouvert avec l’Exécutif, ce dernier avait en effet décidé d’attaquer ces deux textes au regard de formulations communes qui posaient que « l’Assemblée et le Conseil Exécutif sont garants des intérêts matériels et moraux du peuple corse » et que les langues des débats « sont le corse et le français ». Des mentions jugées irrecevables par l’ex-préfet de Corse, en ce qu’elles sont à la fois « contraires à la notion de République une et indivisible », et du fait qu'à l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 est inscrit que « la langue de la République est le français ». 
 
Pas question pour autant pour l’Assemblée de Corse et le Conseil Exécutif de retirer ces délibérations « pour des raisons juridiques, mais aussi politiques et philosophiques ». « Le peuple corse existe et la langue corse est la langue historique de ce peuple », appuient en effet Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis. Devant ce refus, et après plusieurs recours gracieux, l’État décidait, en juin suivant, de porter l’affaire en justice « malgré le processus de négociation en cours entre la Corse et l’État », soulignent les deux élus. À l’appui, Pascal Lelarge soutenait alors notamment que ces règlements intérieurs ne peuvent « être utilisés à des fins politiques ou comme vecteurs d’un souhait de modification institutionnelle ».

" Accepter cette situation est pour nous impensable "

Évoquée le 23 février devant le Tribunal Administratif de Bastia, l’affaire vient donc de donner lieu à une décision de cette juridiction qui annule la délibération et l’arrêté modifiant ces règlements, en considérant que poser que les langues des débats sont le corse et le français viole effectivement l’article 2 de la Constitution. « Accepter cette situation est pour nous impensable. Indépendamment même de l’appel à former contre ce jugement, cette décision de justice et sa motivation ne font que confirmer la nécessité absolue d’une révision constitutionnelle, notamment pour garantir à la langue corse le statut de coofficialité, condition indispensable de sa survie et de son développement », déplorent le président de l’Exécutif et la présidente de l’Assemblée de Corse en annonçant : « Le règlement de l’Assemblée de Corse ayant été adopté à l’unanimité, nous proposerons dès la prochaine session à l’ensemble des groupes d’adopter une position commune face à la situation juridique et politique créée par le jugement du Tribunal administratif de Bastia, saisi par un recours de l’État ».   
Cette décision a d’ores et déjà fait réagir le président du groupe Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, qui fustige sur les réseaux sociaux : « L’annulation par le TA de Bastia des règlements intérieurs de l’Assemblée de Corse et de l’Exécutif de Corse résonne pour nous comme une insulte. Son motif : le corse ne saurait être une langue du débat dans l’hémicycle. Si tratta quì d’un’inghjustizia è d’una vergogna. Ùn cappieremu micca ».