Gilles Simeoni : « Dans l’aérien, nous travaillons à de nouvelles connexions et à une mobilité accrue pour les Corses »

Rédigé le 12/04/2023
Nicole Mari

Après Calvi, c’est à l’aéroport de Figari Sud que le Président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, a poursuivi sa présentation du cahier des charges des OSP aériennes 2024-2028 qui seront débattues fin avril à l’Assemblée de Corse. En présence du Président de la CCI, des maires et présidents d’intercommunalité du Sud Corse et de l’Alta Rocca, ainsi que des acteurs socio-économiques, le président de l’Exécutif a annoncé une hausse de l’offre de sièges pour la desserte de Figari, notamment sur Orly en été, pour faire face à la demande touristique, mais également des vols supplémentaires l’hiver avec des Aller/Retour dans la journée. Il explique à Corse Net Infos que de nouvelles lignes sur l’Italie pourraient être ouvertes.

- Comment s’est passée cette réunion à Figari avec des acteurs qui voudraient libérer un marché très tendu qui ne parvient pas à satisfaire la demande estivale ?
- Comme nous l’avons fait à Calvi, nous avons rencontré à Figari les élus et les acteurs du territoire pour leur présenter le cahier des charges des futures Obligations de service public (OSP) aériennes, leur expliquer les contraintes de l’équation, proposer des solutions à la problématique de l’Extrême-Sud et faire un point sur les infrastructures. J’ai, d’abord, remis en perspective notre vision des transports maritimes et aériens et rappelé que notre politique en matière d’aérien est basée sur un service public fort et qu’il est hors de question de le remettre en cause, notamment l’été, comme certains pourraient le souhaiter, car ce sont précisément les recettes de l’été alliées à la capacité de transporter les résidents qui fondent la singularité de notre système. Si on prive les compagnies délégataires des recettes engrangées sur des vols où, comme à Figari, l’été, il n’y a que 10% de résidents, elles ne pourront plus équilibrer leurs comptes l’hiver, et la compensation, qu’on leur offre, pourrait passer de 80 à 140 millions €. Ceci posé, il est vrai que la demande en été est insuffisamment couverte par Air Corsica et Air France sur la ligne Paris-Orly où les deux compagnies actuellement délégataires ont l’exclusivité de la desserte. Comme je l’ai annoncé à Calvi, les délégataires ont vocation à aller au-delà du service public dans leurs offres quand ils sont en situation d’exclusivité. Il y a également la capacité de compléter cette offre aérienne avec d’autres compagnies hors convention.
 
- Quelles propositions avez-vous faites ?
- J’ai proposé trois catégories d’amélioration. D’abord, concernant le tarif résident qui est le cœur du service public, nous proposons de maintenir à un epsilon près la baisse historique de 2020 avec juste 5 € de plus sur le bord à bord et 10 € sur Paris. Dans un secteur aérien où tous les coûts explosent – 15 millions € en plus par an pour la fiscalité écologique et 15 millions € pour les carburants –, nous avons choisi de ne pas répercuter l’augmentation des coûts sur les résidents. Ensuite, concernant la fréquence, nous mettons 41 120 sièges supplémentaires sur la desserte de Figari. Ce sont, soit des créations de places, soit des places qui n’étaient pas attribuées et que nous obligeons les délégataires à attribuer. Cette offre se décline en 14 560 places supplémentaires sur le Figari-Marseille avec un ajout de fréquence hebdomadaire toute l’année, à savoir un avion en plus le vendredi et le dimanche. C’était une attente forte à la fois des résidents pour partir en week-end, mais aussi des touristes et de la diaspora. Même chose pour Le Figari-Nice avec 14560 places supplémentaires et le même ajout de fréquence le vendredi et le dimanche. S’y ajoute, comme à Calvi, une amplitude minimale de sept heures du lundi au vendredi, ce qui veut dire que l’on pourra faire l’aller-retour Figari-Nice dans la journée. Cela veut dire concrètement qu’il faudra deux avions et deux équipages de plus pour la compagnie délégataire, un à Figari et un autre à Calvi, pour doubler l’amplitude horaire. Ces avions, les délégataires devront les faire voler et donc aller chercher de nouveaux passagers ou de nouvelles lignes.

- Sur le Figari-Orly où l’été, les avions sont remplis à 100 %, qu’avez-vous prévu ?
- Nous proposons 12 000 places supplémentaires pendant l’été et une amplitude minimale de 11 heures toute l’année. Là aussi, les résidents, comme la clientèle d’affaires, pourront faire l’aller-retour entre Figari et Paris dans la journée. On sait que, même avec ses 12 000 places supplémentaires, il restera des gens qui ne trouveront pas de place l’été. C’est pour cela que nous demanderons un effort et un changement de culture d’entreprise à nos délégataires. Nous allons mettre en place un système de monitoring d’anticipation des réservations avec les compagnies délégataires, l’Office des transports et la CCI. Si, en période estivale, juin et septembre compris, les réservations montrent en amont, par exemple un mois avant, que le taux de remplissage dépasse 85 %, les compagnies seront obligées de mettre en place des vols supplémentaires. J’ai demandé par anticipation à nos délégataires actuels, Air Corsica et Air France, de mettre en place ce système dès cet été. Cela demande une part de risque, d’innovation, de meilleure coordination, mais cela procède aussi d’une logique gagnant-gagnant.
 
- On est loin pourtant des 400 000 sièges supplémentaires demandés par la CCI ?
- J’ai répété ce que je l’ai dit à Calvi  : 4,4 millions de passagers sont transportés dans l’aérien, dont 2,1 millions par le service public. La délégation actuelle fixe un volant de 2,7 millions de sièges que nous projetons d’augmenter de 100 000 ou 120 000 sièges. La CCI demandait un total de 3,3 à 3,4 millions de sièges pour obliger les compagnies délégataires à absorber le flux touristique. Or, c’est une construction qui ne passera pas à Bruxelles. Le périmètre du service public est défini à titre principal sur le besoin des résidents et à titre complémentaire sur l’activité économique, mais l’activité économique, ce n’est pas la gestion des flux touristiques. J’ai rappelé que sur les 2,7 millions de sièges du périmètre actuel, 600 000 n’ont pas été vendus, 700 000 l’ont été aux résidents et 1,4 million pour l’activité économique qui est ainsi couverte. Nous avons rigidifié 100 000 à 120 000 places supplémentaires sur les 600 000 qui n’ont pas été attribuées. Cette augmentation est admissible par la Commission européenne qui a donné sa validation de principe. Le modèle est sécurisé, on ne peut pas aller au-delà. Cela nous mène à la dernière étape : la construction d’un nouveau modèle global.

- Qu’entendez-vous par « nouveau modèle global » ?
- Sans préjuger de ce que sera l’appel d’offres, nous avons forcément en tête le présent et l’avenir de la compagnie de la Corse, Air Corsica, et la problématique sociale des 300 salariés corses des escales d’Air France. Air Corsica doit se configurer pour répondre aux nouvelles attentes, aux nouveaux besoins, à la nouvelle donne que nous allons construire ensemble, et être beaucoup plus dynamique. La même chose pour Air France qui peut nous permettre d’améliorer notre connexion à l’international. Par exemple, Nice est devenu aujourd’hui le deuxième aéroport de France et un hub international, le deuxième après Paris, c’est à nos délégataires de réfléchir à de nouvelles stratégies commerciales qui permettront de capter ce flux. De la même façon, nous allons travailler à travers un groupement de commandes entre la CCI et l’agence du tourisme pour acheter des flux sur des capitales européennes non encore desservies. Nous allons également travailler avec la Sardaigne et la Toscane pour réfléchir au développement de lignes inter-méditerranéennes. Tout cela doit générer de nouveaux flux, de nouvelles connexions, en cohérence avec notre stratégie globale de tourisme durable et de mobilité accrue pour les Corses.
 
- Reste la dernière équation que vous avez soulevée à Calvi : l’augmentation de la dotation de continuité territoriale n’est pas pérenne ?
- C’est une équation de fond. Tous les coûts explosent, donc pour maintenir le même niveau de service public et pour l’améliorer, il est indispensable d’augmenter l’enveloppe de continuité territoriale. La rallonge de 33 millions €, que nous avons négociée pour un an, n’est pour l’instant pas pérennisée. J’ai dit aux élus à Figari, notamment aux élus des deux groupes d’opposition, droite et nationaliste, et au président de l’interco qu’ils ne pouvaient pas nous demander de maintenir le périmètre de service public et le tarif résident au même niveau, de renforcer l’offre et de financer tout cela sans se battre à nos côtés pour obtenir de l’Etat l’augmentation de l’enveloppe de continuité territoriale. Cette augmentation est un moyen parmi d’autres. On peut aussi penser à un transfert de fiscalité différente dans le cadre des discussions avec Paris. Il y a aussi la question de la fiscalité écologique. Depuis un an, nous répétons à l’Etat qu’il ne peut pas traiter la fiscalité de l’aérien dans un territoire insulaire comme il la traite sur un territoire continental. La fiscalité actuelle au niveau national vise à dissuader les gens de prendre l’avion lorsqu’ils peuvent prendre le train ou la voiture, mais c’est un raisonnement qui ne s’applique pas en Corse. On ne peut pas fiscaliser nos compagnies de service public, comme on fiscalise un transport de 300 kms sur un territoire continental.

- Certains élus de l’Extrême-Sud estiment que les infrastructures de Figari sont abandonnées. Que répondez-vous ?
- Il faut arrêter la petite musique qui prétend que l’Exécutif nationaliste ne fait rien pour l’Extrême-Sud. Je rappelle qu’entre 2005 et 2017, sous les mandatures Santini et Giacobbi, l’investissement total sur l’aéroport de Figari a été de 10 millions €, dont 2,5 millions € de travaux financés par la Collectivité territoriale et 7,5 millions € par la CCI, alors même que le trafic avait déjà commencé à augmenter de façon très forte. Depuis 2017, nous avons réalisé 26,5 millions € d’investissements, dont la quasi-totalité par la Collectivité de Corse, notamment pour la réfection des pistes et l’aménagement de l’aile commerciale. Nous avons déjà fait beaucoup. Reste le problème du sous-dimensionnement de l’aérogare. Il faut à l’évidence envisager des travaux pour faire face à la crise de croissance. L’aéroport de Figari a été conçu pour recevoir 500 000 passagers au maximum et il en reçoit aujourd’hui 900 000. Reste à définir le bon dimensionnement, le bon niveau d’investissement et à trouver le plan de financement. J’ai rappelé aux élus de Figari que notre devoir est de créer des infrastructures capables d’absorber les flux, pas de faire du gigantisme aéroportuaire dans une logique de surtourisme. On ne fait pas des infrastructures pour courir après des flux, mais on définit les flux que l’on veut avoir, notamment en termes touristiques, en termes de volume et de saisonnalité, et on crée des infrastructures par rapport à cette stratégie. Ces infrastructures doivent, premièrement, s’intégrer dans notre vision globale du développement touristique et économique, et deuxièmement, dans une logique d’aménagement des territoires et d’équité entre les territoires.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.