Paul Molac : « Il n’y a pas une norme d’Etat sur laquelle il faudrait plier et qui va nous dire ce que nous devons être ! »

Rédigé le 21/04/2023
Nicole Mari

Rapporteur de la loi sur la protection patrimoniale des langues régionales et leur promotion, adoptée le 8 avril 2021 à l’Assemblée nationale, Paul Molac, député du Morbihan et membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), participait vendredi à Bastia à une conférence sur l’enseignement immersif associatif. Organisée par Scola Corsa, association pour la promotion de la langue et de la culture corse, la conférence réunissait autour du président Ghjiseppu Turchini, le député européen François Alfonsi, le président de Seaska (Fédération des écoles immersives du Pays-basque), Peio Jorajuria, et le président de l’ISLRF (Institut supérieur des langues de la République française), Jean-Louis Blenet. Paul Molac fait le point pour Corse Net Infos sur l’enseignement immersif et sur le combat législatif qu’il entend poursuivre à l’aune de la révision constitutionnelle.

- Quel est le but de cette visite en Corse ?
- D’abord de parler de l’enseignement du Corse et plus globalement de l’enseignement des langues régionales. J’ai été invité par Scola Corsa pour évoquer ce qui est le cœur de l’enseignement, c’est-à-dire l’immersion. Pour en parler d’un point de vue législatif et réglementaire, mais aussi de notre volonté de développer cette méthode pédagogique dans les écoles associatives comme dans les écoles publiques.
 
- L’enseignement immersif, mesure phare de votre loi, a été censuré par le Conseil constitutionnel, puis rétabli par une circulaire gouvernementale. Où en est-on aujourd’hui ?
- Effectivement, l’article parlant de l’immersion, qui est une méthode pédagogique que nous avions mise dans la loi par un ajout du Sénat, fait par une sénatrice alsacienne, montre bien l’intérêt de ce type de méthode. Ce qui est surprenant, c’est que le Conseil constitutionnel, qui n’est pas une autorité en ce qui concerne la pédagogie, a déclaré que c’était anticonstitutionnel ! C'est très curieux ! Le gouvernement s’est aperçu que c’était un non-sens, puisque ça consistait à revenir en arrière. Ce n’était même pas du conservatisme, mais carrément de la réaction ! Il a tout simplement publié une circulaire qui déclare que la méthode par immersion est tout à fait possible, à la fois dans les écoles associatives, confessionnelles et publiques. Pour l’instant, cette circulaire est en place. Elle va contre le Conseil constitutionnel, à juste raison. Le législateur a voté en faveur de l’immersion dans la loi, et cela me paraît de bon sens de l’accepter. Il reste néanmoins une incertitude à ce sujet que nous essaierons de régler une bonne fois pour toute lors de la révision constitutionnelle
 
- Quelle est la réalité de l’enseignement immersif en France ?  
- En Bretagne par exemple, un quart des enfants, qui apprennent le breton, sont dans les filières associatives Diwan qui pratiquent l’immersion. Dans l’enseignement public, un certain nombre d’enseignants dépasse largement 50 % d’enseignement en langue bretonne et jusqu’à 100 % en maternelle. La même chose au Pays-Basque, à la fois dans les écoles associatives Seaska et dans l’enseignement public. Il y a eu une expérimentation qui consistait à enseigner 100 % en basque dans les écoles maternelles. Une évaluation a montré que les élèves, qui avaient eu un enseignement 100 % en basque en maternelle, avait, à la fin du Cours préparatoire (CP), un niveau supérieur en français que ceux qui n’avait pas fait de basque. Cette expérimentation a démontré que l’immersion était une très bonne méthode pédagogique pour apprendre le basque et, au bout du compte, le français. C’est pareil en Alsace où certaines filières fonctionnent à plus de 50 % d’enseignement en alsacien, y compris les écoles ABCM (Association pour le bilinguisme en classe dès la Maternelle) qui sont sur le modèle immersif à 100 %. Il y a des écoles aussi en Catalogne, donc cela touche pas mal de monde. En Corse, Scola Corsa vient de se mettre en place. À Bastia, deux classes sont déjà ouvertes alors que les enfants sont à peine sortis de maternelle. Cela veut dire qu’il y a une belle idée de progression derrière. Sans oublier l’école publique où certains y pensent également.  

- Des résultats sont-ils visibles au niveau du nombre de locuteurs ?
- Il ne faut pas confondre la connaissance de la langue et son utilisation. L’école est absolument primordiale pour apprendre la langue, mais ça ne suffit pas. Si vous ne trouvez pas l’occasion de parler la langue dans la sphère publique, votre compétence forcément ne sera pas mise en place. Donc, l’école est une condition préalable, absolument nécessaire et indispensable, mais non suffisante. Ce qu’il faut développer après, c’est ce que nous essayons de développer, ce sont des activités qui se font chez vous en langue corse et chez nous en langue bretonne. Il n’empêche que quand vous êtes dans une filière bilingue, vous avez des compétences linguistiques nettement supérieures à celles d’une filière monolingue parce que vous avez déjà deux langues d’apprentissage. Et vous continuez à développer avec votre deuxième langue toutes les capacités que vous avez mises en œuvre pour apprendre votre première langue. Et si jamais vous n’apprenez pas de deuxième langue très rapidement, vous avez tendance à oublier vos capacités, et quand vous les réactivez plus tard au collège, eh bien c’est trop tard !
 
- Une enquête de la Collectivité de Corse montre que 34% des élèves ont reçu un enseignement en langue corse. Est-ce suffisant pour pallier la perte de locuteurs actifs ?
- Cela dépend du type d’enseignement. Ce ne sont pas quelques heures de cours de corse par semaine qui vont vous donner les capacités linguistiques pour parler la langue. Il ne faut donc pas confondre l’initiation, c’est-à-dire quelques heures par semaine, avec le bilinguisme, où la moitié du temps d’enseignement se fait en langue corse avec des matières qui sont enseignées en corse, ou mieux avec l’immersion où il y a 100 % d’enseignement en Corse au moins pendant une partie de la scolarité. Donc, forcément les capacités linguistiques ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, vous pouvez comprendre, dans les deux autres, vous pouvez parler. Ce n’est pas du tout pareil ! Pour que l’on arrive à avoir une langue que l’on puisse parler de façon spontanée, il faut évidemment qu’un maximum de personnes  la comprennent. Cela veut dire qu’un tiers c’est bien, mais je crains que ce soit encore insuffisant.
 
- Au-delà de l’enseignement, y-a-t-il un engouement de la jeunesse ou des populations pour leur langue régionale ?
- Oui ! Mais, en Bretagne, par exemple, il y a seulement 6 % d’une classe d’âge qui parlent breton. C’est tout à fait insuffisant ! On se retrouve un peu coincés ! L’autre jour, nous étions dans une réunion où nous aurions très bien pu parler breton, mais comme il y avait une personne qui ne comprenait pas, nous avons été obligés de parler français.
 

- Sur recours de l’ex-préfet Lelarge, le tribunal administratif a interdit l’usage de la langue corse à l’Assemblée de Corse. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
- L’Etat Français n’est toujours pas sorti de son modèle colonial ! À partir du moment où tout le monde comprend la langue corse dans l’assemblée et que, de toute façon, les papiers sont en français, et s’il y a en plus des traductions, je ne vois pas où est le problème ! Dans l’hémicycle régional en Bretagne, nous utilisons le breton et le gallo avec le français, et avec des traductions simultanées, cela ne pose aucun problème. Si ce n’est de vouloir effectivement que le Corse ne puisse pas être parlé dans la sphère publique, parce que c’est cela qui se joue en fait. C’est une façon de dire : gardez votre langue corse dans votre milieu familial, mais surtout qu’elle ne sorte pas dans la société ! Or, si on veut que la langue soit parlée, il n’y a pas d’autre solution que de l’utiliser dans la société. Donc, il faut trouver des espaces pour la parler. Pour l’Etat en France, toutes les langues, qui ne sont pas le français tel qu’il l’enseigne dans les écoles, sont des mauvaises langues qu’il ne faut pas parler ou qu’il faut réserver au milieu familial dont elles ne doivent pas déborder. Si on applique ce principe, c'est la mort de toutes les langues régionales ! Finalement, le préfet Lelarge n’a fait qu’imposer une norme d’Etat, mais une norme d’État qui est contre les Droits de l’Homme et contre le fait que chaque population peut déterminer la langue qu’elle utilise. On est dans un modèle autoritaire de type néocolonial, pour dire les choses clairement. Ce n’est évidemment pas acceptable au niveau des Droits de l’Homme, en particulier au niveau d’une démocratie !
 
- Vous comptez sur une révision constitutionnelle pour sécuriser l’enseignement immersif, mais au vu de la crise politique actuelle, cette révision semble compromise ?
- Tout combat, qui n’est pas mené, est perdu d’avance ! Je ne sais pas s’il y aura une révision constitutionnelle, mais, en tout cas, je me prépare à ce qu’il y en ait une. Et je serai prêt pour cette révision. Si j’avais écouté les gens qui me parlaient de ma loi, je n’aurais rien fait, certains défenseurs des langues régionales me disaient qu’elle ne servait à rien et qu’elle ne serait jamais votée. Elle a été votée, et j’espère qu’elle sert à quelque chose. Il ne faut pas écouter les oiseaux de mauvais augure ! Nous avons des langues régionales, des patrimoines culturels que nous devons protéger et faire fructifier. Peu importe l’idéologie qui porte une vision unitariste, où tous les hommes seraient les mêmes comme des clones ! Ce n'est pas notre vision ! Nous entendons défendre une vision qui soit ouverte, tout à la fois sur les autres et sur ce que nous sommes réellement, c’est-à-dire vous Corses, nous Bretons, dans un ensemble français. Il n’y a pas une norme d’Etat sur laquelle il faudrait plier et qui va nous dire ce que nous devons être ! Ce n’est pas acceptable !
 
- Cette tendance à l’uniformisation est-ce une dérive inquiétante de la société française ?
- C’est surtout incontestablement une dérive du modèle français ! Le problème, c’est qu’on nous enferme dans un rôle, en nous faisant croire qu’à partir du moment où nous défendons ce que nous sommes, nous sommes contre les autres. Non ! Je ne suis contre personne, mais je ne suis certainement pas un autre que ce que je suis ! En France, il y a une norme d’État que certains voudraient imposer à tout le monde, y compris au niveau linguistique, cela va même très loin jusque dans la prononciation. La France est le pays d’Europe qui est le plus divers au niveau des cultures et des langues, et elle veut nous faire croire que nous devons tous être pareils et qu’à partir du moment où nous serons tous pareils, nous serons égaux. Ce n’est pas vrai ! C’est une forfaiture que de nous expliquer les choses comme cela !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.