Processus d’autonomie : La vive inquiétude des élus corses après le report de la réunion de Beauvau

Rédigé le 24/05/2023
Nicole Mari

La quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, qui devait se tenir ce jeudi 25 mai au ministère de l’Intérieur, est reportée en juin, pour cause d’agenda ministériel et d’hommage national à Roubaix aux trois policiers décédés le weekend dernier. Elle pourrait se tenir le 7 ou le 9 mai. La réaction à ce report des élus corses, dont certains étaient déjà arrivés à Paris, est largement dominée par l’inquiétude face aux intentions réelles de Paris de mener à bien le processus dans les termes promis. Les Nationalistes demandent au ministre une clarification rapide.

Plutôt cavalier et un tant soit peu méprisant ! C’est le sentiment qui prévaut à l’annonce brutale, mercredi matin, par le cabinet du ministre de l’Intérieur du report de la quatrième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, qui devait se tenir à l’Hôtel Beauvau, jeudi matin à partir de 9 heures jusqu’à 16h30. Une nouvelle journée de négociation très attendue par la délégation insulaire et déjà prévue le 16 mai et déjà reportée pour des raisons d’agenda ministériel. Le 17 mai, c’était une visite à Washington. Ce jeudi, c’est un hommage rendu à l’école nationale de police de Roubaix par le Chef de l’Etat aux trois policiers décédés dans un accident de la route le week-end dernier. Si l’on peut comprendre que l’actualité nationale puisse modifier un agenda, c’est l’annonce in-extrémis du report qui passe en coulisses plutôt mal alors que l’hommage aux policiers est programmé depuis déjà deux jours. D’autant qu’une partie de la délégation corse était déjà arrivée à Paris et que l’autre s’apprêtait à s’y rendre. Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, a appris à sa descente d’avion à l’aéroport d’Orly la proposition du cabinet de Gérald Darmanin de décaler la réunion le même jeudi de 16 à 22 heures ou de la reporter en juin. Il a immédiatement demandé à la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, en séance à Bruxelles au Comité européen des régions, de convoquer une conférence des présidents à distance à midi, qui a, à l’unanimité, décidé le report à début juin. Personne n’ayant envie d’une discussion à l’arraché. Sans compter que pour la tenue de cette réunion, la même conférence des présidents a dû annuler la première journée de session de l’Assemblée de Corse, prévue ordinairement tous les derniers jeudi et vendredi du mois, et différer l’examen de la majeure partie des dossiers. Et qu’il était également impossible pour les élus territoriaux de rentrer à temps pour la seconde journée de session maintenue vendredi ou même de pouvoir rentrer tout court en ce weekend chargé de la Pentecôte. C’est la deuxième fois que l’agenda ministériel impose, dans le cadre du processus de négociation, l’annulation ou le report d’une session de l’Assemblée de Corse et de l’Assemblea di a Ghjuventu. Plutôt cavalier et un tant soit peu méprisant pour les institutions de l’île et ses représentants !
 
Une vive inquiétude
Du côté de la délégation insulaire, la surprise et l’inquiétude sont prégnantes et largement partagées, tant au niveau des élus territoriaux que des associations de maires. Dans un court communiqué, la Conférence des présidents a pris acte de cette « impossibilité » et « tout en partageant l’émotion suscitée par ce drame », a tenu « à exprimer publiquement sa vive inquiétude sur le devenir du processus et demande que la réunion soit programmée au plus vite dans les prochains jours ». Le ministre proposerait les dates du 7 ou du 9 juin, soit les deux dates sandwich entre le jour tant redouté par le gouvernement d’examen au Parlement du projet de loi du groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites. Un choix pour le moins équivoque quand on sait les pressions que les trois députés nationalistes corses, membres du groupe LIOT, subissent de la part du gouvernement pour « ne pas s’associer à cette démarche ». Un mécontentement exprimé au plus haut niveau de l’Etat et relayé par le député d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons appartenant à la coalition macroniste au Parlement. Emmanuel Macron, que l’on dit « très remonté » contre les députés nationalistes, semble estimer faire une faveur à la Corse en lui octroyant un cycle de discussions sur son avenir et en exigeant en retour que ses parlementaires se conduisent comme des godillots. Paris semble oublier que la promesse d’autonomie a été lancée pour éteindre l’incendie suscité dans l’île par l’assassinat d’Yvan Colonna le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles et empêcher que la crise corse ne perturbe les élections présidentielles. Le cabinet de Gérald Darmanin a beau assuré qu’il « n’y a aucune raison politique à ce report », l’arrière-plan politique national ne fait aucun doute. Le chantage est bien réel et inacceptable pour les Nationalistes corses qui n’y voient que « des prétextes » pour ne pas tenir les engagements pris. En plein milieu d’un processus qui patine plus qu’il n’avance et où le gouvernement ne semble concevoir la discussion que sur des mesures techniques et une pincée de différenciation liée au fait insulaire, cet énième rendez-vous raté n’est pas fait pour rassurer.
 

Un processus en berne
Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, ne s’y est pas trompé. S’il « peut comprendre un report de la réunion face au drame de trois jeunes », ce nouveau couac s’inscrit « dans un contexte global très inquiétant. L’épisode des retraites nous a conduit à une absence totale de contacts par rapport au processus et à la situation corse pendant trois mois. La première réunion prévue le 17 mai est reportée au 25 et de nouveau reportée au dernier moment. La forme donne quand même un peu l’impression que la Corse est la variable d’ajustement ! Deux jours avant la réunion, il y a les arrestations des militants de Ghjuventù Libera. On peut s’interroger sur la concomitance des interpellations et de la réunion. Concernant le foncier qui est une question stratégique, sensible et centrale pour nous, Paris, qui le sait bien, nous envoie des documents sur la méthode, le constat et les propositions, dont le contenu est dérisoire par rapport à nos attentes, aux besoins et aux enjeux ». Pour le président de l’Exécutif, face aux signaux brouillés du gouvernement, une seule vraie question se pose :
« Paris veut-il que ce processus réussisse ou pas ? Veut-il qu’on réussisse ensemble un processus à vocation historique qui est l’objectif initial qu’on s’est assigné en commun ? Il faut que la prochaine réunion réponde de façon claire à cette question, indépendamment de toute discussion technique. Tout le reste devient secondaire ». Gilles Simeoni ne cache pas que le processus est « clairement à un carrefour, un point de bascule. Nous sommes à la croisée des chemins. On voit bien que, sur la forme et sur le fond, le processus est en train de se déliter. Après 15 mois, on a très peu avancé, et tous les signaux, qui nous sont envoyés, sont négatifs. Forcément, je pense que le prochain rendez-vous est décisif ». A partir de là, les relations entre la Corse et Paris pourraient bien rentrer dans une autre équation.

Une clarification rapide
C’est aussi l’avis de Jean-Christophe Angelini, président du groupe PNC-Avanzemu, qui demande à Paris de clarifier sa position : « Compte tenu de ce nouveau report, il faut maintenant que la volonté politique des deux parties soit clarifiées sans délai. Y compris avant la tenue de la prochaine réunion. Il peut y avoir une déclaration, une communication écrite. Il faut - et c’est d’ailleurs le sens du communiqué de la Conférence des présidents - que l’on sache exactement où l’on va. Le temps court. Il est question d’une validation politique au plus haut niveau le 14 juillet prochain. On doit impérativement avoir une clarification avant ». Il est urgent, pour lui aussi, de repréciser le cap : « Est-on dans une nouvelle étape de la décentralisation ? Est-on encore dans un processus vers l’autonomie ? Est-on dans un ajustement des dispositions à droit constant sans évolution institutionnelle ? Il faut qu’on le sache très vite. C’est, à mon avis, la seule réponse qui vaille dans le contexte. Tout le reste viendra après. Si on ne sait pas exactement quel est le cap, l’objectif, on ne peut plus parler de grand-chose ». Et d’ajouter : « Si c’est non, et qu’on est dans une évolution simple, voire une loi, mais sans révision constitutionnelle, on en tirera toutes les conclusions. Je continue de penser que ce n’est pas le cas et qu’il y a encore un chemin pour une évolution au fond. Si on est dans une évolution au fond avec une révision constitutionnelle, il faut préciser la méthode et le calendrier. Aujourd’hui, l’opinion corse est déboussolée, la représentation élue également. On a donc besoin d'une clarification rapide, pour ne pas dire imminente ». De même concernant les documents sur le foncier transmis par Beauvau, le leader autonomiste estime qu’une clarification rapide est nécessaire : « On nous dit que ce sont simplement des outils d’introduction au débat et que le gros des propositions serait fait durant la réunion. C’est pour cela que nous sommes d’autant plus inquiets, impatients, parce qu’on pensait que la réunion devait nous permettre de tout préciser. Si elle est remise à quinzaine, de fait, il y a encore un fossé qui se creuse, une distance qui s’installe. Nous sommes assez convergents, les uns et les autres, sur ce degré d’attente ».

Un problème de calendrier
Toute aussi inquiète par ce report, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, se veut d’abord compréhensive : « J’ai appris ce matin, comme le président de l’Exécutif, que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, devait participer aux obsèques de trois jeunes policiers qui sont décédés dans un accident de la route à Roubaix. Il nous a proposé de décaler la réunion, initialement prévue de 9 heures à 16h30, le soir jusqu’à 22 heures. Ce qui a posé problème, tant sur le fond que sur la forme. Nous déplorons le décès de ces trois personnes et le drame qui touche leur famille, mais nous avons considéré, sur la base de la réunion de la Conférence des présidents, qui réunissait les présidents de groupe, le président du Conseil Exécutif et moi-même, qu’il était préférable de la reporter à une date la plus rapide possible. Les conditions matérielles pour se réunir sereinement n’étaient pas au rendez-vous ». Ceci dit, elle déplore « au-delà de ce moment dramatique, le report, une fois encore de cette réunion concernant le processus et le cycle d’échanges sur l’évolution institutionnelle de la Corse ». Elle rappelle que le Président de la République, lors de la précédente réunion, avait proposé un rendez-vous à la mi-juillet, « lors duquel nous aurions à traiter les propositions d’évolution constitutionnelle. Je suis évidemment très inquiète et je m’interroge, à la fois, sur le calendrier de ce processus et sur la méthodologie de travail qu’il faut questionner au regard de l’évolution du calendrier ».

Pas de bon augure
Pragmatique, Jean-Martin Mondoloni, président du groupe d’opposition U Soffiu Novu, appelle à tirer parti de ce délai : « L’idée, qui nous a été soumise en conférence des présidents, était soit de travailler demain tardivement à Paris, soit à une date ultérieure. Tout le monde a opté pour une date ultérieure. Je pense que c’est une sage décision. Il faut une bonne journée de travail. À toute chose, malheur est bon ! Il faut profiter de cette dizaine de jours pour travailler entre nous. Ce serait bien aussi ! C’est ce que j’ai dit. Le reste, on verra bien… ». Le leader de la droite insulaire se refuse à toute paranoïa : « Que cette réunion ait lieu demain ou dans 10 jours, la vraie question est : sommes-nous prêts les uns et les autres ? Du côté de l’Assemblée de Corse, chacun arrive avec son catalogue de propositions. Du côté du gouvernement, il y a des réponses aux questions précédentes dont on ne connaît pas les raisons et les motivations. Je pense qu’il faut profiter de cette dizaine pour ajuster la méthode et regrouper les réponses, rassembler nos propositions respectives ». Concernant les documents envoyés par le cabinet du ministre sur la question du foncier, il reste pratique : « On peut y voir une base de travail si on considère le verre à moitié plein, ou des refus quasi catégoriques si on considère le verre à moitié vide. En tout cas, ces documents sont sujets à discussion. Je pense que d’un point de vue de la méthode, il faut qu’on s’ajuste avec le gouvernement pour savoir ce qu’on attend et quelle est la réalité des documents qu’on est en droit d’attendre, si on veut que ce processus ait un peu d’épaisseur et d’ambition. Ce n’est pas non plus un casus belli ! Le tout est qu’on arrive à se parler et à se comprendre ». Il est le seul à clairement évoquer l’affaire de la réforme des retraites : « Je crois que l’attitude du groupe LIOT agace considérablement le gouvernement. On ne peut pas faire comme si ça n’existait pas et que les choses étaient compartimentées et isolées. Les députés essayent de faire tomber le gouvernement le vendredi, et on va négocier le samedi. Je ne discute pas de l’opportunité de la proposition de loi du groupe LIOT, je pense simplement que ça complique les choses. Il y a des parasites qui tiennent aux uns et aux autres. Je pense qu’un dialogue assez confus s’installe, qui n'est pas de bon augure pour la Corse ».
Une chose semble certaine, c’est que la future réunion sera soumise, comme les autres, aux aléas de l’agenda ministériel et à l’humeur présidentielle. Et de toute évidence, l’avenir de la Corse n’est pas une priorité à Paris !
 
N.M.